Culture et légendes de Rapa Nui
L’Île de Pâques fait rêver pour bien des raisons. Beaucoup de mystères entourent encore l’île et son histoire. Voici un petit condensé de ce que nous y avons découvert, notamment grâce au musée de l’île.
Pourquoi tant de mystères ? Tout d’abord il faut prendre en compte une rupture entre la tradition orale et la passation des connaissances. Ce qui a été perdu a donc été théorisé de façon plus ou moins scientifique. Les faits actuels proviennent d’évidences archéologiques, des histoires des voyageurs ayant redécouvert l’île depuis 1722 (le jour de Pâques d’où le nom), des savoirs encore présents parmi les natifs.
Rapa Nui, nom d’origine de l’Île de Pâques, a été formée par une forte activité volcanique : 3 principaux volcans et 70 cratères secondaires. Ça donne du 173 mètres carrés. Elle est plus qu’isolée, quasiment à mi-chemin entre Tahiti (4100 km) et la côte chilienne (3700 km). Il faudra donc attendre entre 800 et 1200 ans (après J.-C.) pour que les Polynésiens viennent s’y installer. Ça serait la dernière île découverte par le peuple polynésien. Tout ça juste en se guidant des étoiles, des courants marins et de la météo. Des grands bateaux de colonisation, les navigateurs européens n’en ont trouvé que des miniatures pour 5 personnes au XVIIIe siècle.
La légende veut que le premier chef Hotu Matu’a arriva avec deux bateaux. Sa sœur Avareipua conduisait le second. La seule trace de ces navires a été trouvée dans les pétroglyphes. Impossible de savoir si la colonisation s’est faite en une ou plusieurs fois ni à quelle date. 3 phases historiques sont posées. La phase de colonisation entre 800 et 1200, la population s’installe ainsi que la nouvelle culture. La phase Ahu Moai jusqu’au XVIIe siècle, la culture Rapa Nui atteint son apogée avec les sculptures des Moaïs. La phase Huri Moaï jusqu’à l’arrivée des missionnaires catholiques en 1864, des affrontement entre les différentes tribus éclatent et le rituel d’élection du roi est suspendu.
Hotu Matu’a fut donc le premier Ariki Mau, roi de l’île. Ses 6 fils formèrent chacun une Mata, tribu principale. À la fin, on reconnaîtra 10 Mata organisées en deux confédérations : Ko Tu’u Aro (l’aristocratie à l’ouest) et Hotu Iti (le simple peuple à l’est). La mata la plus importante aurait été fondée par Miru, fils ou neveu de Hotu Matu’a. Chaque Ariki Mau vient de cette Mata obligatoirement. Enfin chaque Mata est divisée en lignées Ure. Les chefs des Ure sont les plus anciens et doivent apporter le bien-être physique et spirituel de sa famille.
Grosso modo, on retrouve quelques fonctions de base. Ariki Mau est le roi et leader spirituel de toute l’île. Ariki Paka sont les aristocrates, surtout de la Mata Miru. Tangata Honui sont les anciens les plus importants qui conseillent le roi, souvent chef d’Ure. Ivi Atua sont les grands prêtres. Matato’a sont les guerriers et appartiennent avant tout à leur propre clan. Paoa sont les soldats de plus petites classes. Maori sont les artistes et experts en diverses disciplines. Kio sont le bas de l’échelle sociale, serviteurs ou esclaves.
La mythologie de Rapa Nui est proche de ses sœurs polynésiennes. D’un côté on a les dieux créateurs, de l’autre des petites déités et esprits. Le dieu créateur principal se nomme ici Make-Make. Deux principes surnaturels sont également présents dans cette culture. Le Mana, la force, anime chaque activité quotidienne. C’est un élément essentiel présent seulement chez les Ariki qui l’utilisent pour le bien de leur Mata. Le Tapu représente les frontières, l’interdit contenu grâce au Mana. Si quelqu’un l’enfreint, il sera la cible de lourdes peines, voir la mort. Par exemple, un lieu tapu sera les centres de cérémonies, Ariki Mau est tapu car il est un concentré pur de Mana, la nourriture dédiée au roi est tapu (les premières récoltes)…
Ahu est un centre cérémonial, essentiellement pour rendre hommage aux grands ancêtres des lignées. C’est une place rectangulaire avec une plateforme à une extrémité. La plateforme, plus que la place, est sacrée. Des dalles de pierre servaient de sièges aux chefs et prêtres et celles sur la plateforme aux ancêtres passés à qui on rend hommage. Il y a trois types de Ahu. Ahu Moai est le plus classique, composé d’une plateforme centrale où se tiennent les Moaïs coiffés de pukao (chapeau ou coiffure ?), d’allées pavées, d’une rampe d’accès, de la place où se tiennent les cérémonies, des crématoriums en arrière-plan, des stèles funéraires (époque tardive dans la culture), des petites huttes où les chefs et les prêtres pouvaient se reposer. Le Ahu semi-pyramidal est un tumulus funéraire collectif. Le Ahu Poe Poe ressemble à un bateau européen, également à des fins funéraires. Ces derniers sont construits après l’arrivée des Européens.
Vous l’attendiez, parlons des Moaïs. Ces géants de pierre représentent les ancêtres importants de chaque lignée. Ils étaient taillés dans les flans du volcan Rano Raraku. 887 Moaïs ont été recensés, 397 sont sur le site de la carrière, 288 sont sur des Ahu, 92 sont sur la route de Ahu. Les Moaïs étaient d’abord taillés à même la roche volcanique. Seule une partie fine restait accrochée à la montagne jusqu’à ce que la statue soit finie. Pour maintenir la statue, une corde est attachée au niveau du cou puis la fine attache de pierre est taillée. On relève la statue grâce à un petit fossé creusé au niveau des pieds et le dos pouvait être finalisé. En moyenne, un Moaï mesure 4,05m, pèse 12,5 tonnes et fait 5,96 m3.
Le plus dur reste de déplacer les statues jusqu’au Ahu. D’après les habitants, c’est grâce au Mana si ça a pu se faire. Diverses théories ont donc vu le jour. Une méthode consiste à tirer la statue sur le dos grâce à un traîneau de bois lubrifié à l’huile de patate douce. D’autres consistent à faire tituber la statue grâce à un système de cordes en V ou simplement de cordes autour de la tête et du bassin. À l’égyptienne, on place la statue sur un traîneau et des rondins de bois en-dessous… Rien n’est validé comme hypothèse principale.
Enfin, la grande cérémonie de la culture de Rapa Nui (en fin d’époque seulement) concerne le cycle de Tangata Manu, l’élection du nouveau roi. Une cérémonie avait lieu au niveau d’Orongo au sud de l’île. On y voit les îlots de Motu Kao Kao, Motu Iti et Motu Nui. Elle se passait tous les ans à partir du mois de juillet avec des préparations spécifiques. Les chefs des grandes lignées se rassemblaient avec leurs Hopu (représentants) qui feront la course à leur place. En août, les Hopu nageaient jusqu’à Motu Nui, défiant les courants et les requins, et attendaient le Manutara, l’oiseau migrateur qui venait nicher sur l’îlot. En septembre, les premiers œufs sont pondus et de là commence la course pour devenir le Tangata Manu, l’homme-oiseau. Il fallait ramener un œuf intact en haut de la falaise, au village d’Orongo.
Une fois le Tangata Manu « choisi », plusieurs rites et Tapu sont accomplis. Avant de repartir d’Orongo, on lui rasait la tête, les cils et les sourcils. Depuis le volcan Rano Kau, le Tangata Manu descend jusqu’à Mataveri (ville principale) en chantant et dansant pour montrer sa victoire. Il revoit sa famille et ses alliés une dernière fois avant de vivre reclus sur le volcan Rano Raraku ou vers Anakena jusqu’au cycle suivant. Sa seule compagnie sera un Ivi Atua, un grand prêtre. Les Tapu le concernant alors sont que personne ne pouvait l’approcher ou le voir, seul l’Ivi Atua pouvait le nourrir ou le laver, il ne pouvait se laver lui-même ou se couper les cheveux et les ongles. Certains chroniqueurs du XIXe siècle ayant observé la cérémonie ont pu observer des tensions suite à la désignation. Les autres lignées avaient du mal à se soumettre à un autre leader. Ceux qui ne contribuaient pas à nourrir le nouveau Tangata Manu étaient sévèrement punis.
Le culte du Tangata Manu a suivi la période de taille des Moaïs et a remplacé l’Ariki Mau à cause de conflits internes. Ainsi, toutes les Mata et pas seulement les Miru pouvaient accéder au pouvoir. Il se peut que cette cérémonie se faisait en parallèle et en petit comité du temps des Moaïs mais avec les changements sociaux du XVIIe siècle elle s’est imposée à tous comme nouveau système. Le côté divin du Tangata Manu vient d’une légende disant que le dieu Make-Make, dieu de la création et donc chef de tous, voyagerait depuis le Motu Motiro Hiva (l’îlot Sala et Gomez) sous forme d’oiseau migrateur pour pondre sur Motu Nui.
Toutes ces légendes ont pu être retranscrites grâce aux observateurs occidentaux qui sont venus sur l’île depuis sa « découverte » au XVIIIe siècle. Mais elles ont également été tracées à travers des pétroglyphes par les natifs de Rapa Nui. Malheureusement, à cause de conflits internes nombreux – et sans doute sanglants – beaucoup d’histoires et de savoirs-faire ont été perdus.
Cet article a pu être écrit grâce aux expositions des musées de l’Île de Pâques. Il s’agit d’une simple réécriture des explications données sur place. Ça nous permet d’introduire une partie de la culture de Rapa Nui à ceux qui ne la connaissaient pas. Beaucoup n’a pu être dit. Disons qu’il y a la base pour ceux qui voudront y aller et observer de leur propre regard.